Nicolas-Auguste Laurens

Nicolas-Auguste Laurens présente à cinq ans d'intervalle notre tableau à Paris puis à Dijon. Lors de sa première exposition, au Salon des Beaux-Arts de Paris en 1887, l'œuvre retient particulièrement l'attention de ses contemporains. La beauté de cette figure nue n'est entravée par aucun attribut mythologique. Ariane est assise sur un promontoire rocheux dominant la mer Méditerranée. Le ciel s'obscurcit subtilement redoublant l'agitation grandissante des vagues. Le pinceau de Nicolas-Auguste Laurens se pose avec une infinie délicatesse pour modeler le corps de son héroïne. La luminosité de la chair rose et blanche est remarquable. Le traitement plus libre de la fourrure sur laquelle Ariane est assise, du rocher, et de la ronce grimpante en bas à gauche, accentue la qualité de la description.

Difficile de passer à côté du tableau de Nicolas-Auguste Laurens accroché dans la salle n°5 du Salon des Beaux-Arts au Palais des Champs-Elysées. Preuve de l'impact de l'image, les caricaturistes s'en saisissent pour faire rire. Ariane abandonnée et caricaturée trouve sa place dans les comptes rendus dessinés du Salon de 1887 publiés sous forme de feuilletons dans la presse de l'époque. Le facétieux Louis Pierre Gabriel Bernard Morel-Retz, célèbre sous le pseudonyme Stop, s'amuse de l'isolement et du calme apparent de cette femme malgré l'abandon de son amant en sous-titrant son dessin dans le Journal amusant : « Ariane n'ayant pu sauver du naufrage de sa vertu qu'un oreiller carré et sa descente de lit ». Quant à la romancière Gyp, elle associe dans une conversation imaginaire la figure songeuse d'Ariane à une sainte Madeleine renonçant aux plaisirs de la vie terrestre. Enfin, l'œuvre entre dans la postérité à travers sa version gravée par Charles Gillot pour figurer dans le catalogue illustré du Salon.

Ariane abandonnée doit en partie son succès au modèle d'atelier qui a pris la pose pour Nicolas-Auguste Laurens. Elle est reconnaissable à sa chevelure rousse, la blancheur de sa peau, ses magnifiques yeux et ses formes parfaites. Plusieurs de ses contemporains ont d'ailleurs révélé son identité1. La personnalité de Marie Roger (ou Royer) dite Sarah Brown marque le milieu artistique parisien autant que sa beauté. Agé de 18 ans, la jeune femme vient de faire son entrée dans les ateliers et rencontre un succès fulgurant. La même année, elle pose pour le portrait de la poétesse Clémence Isaure que Jules Lefebvre présente au Cercle artistique et littéraire de la rue Volney, et pour plusieurs tableaux du Salon des Beaux-Arts : Ariane abandonnée de Laurens, mais aussi Sauvageonne (n°1221) de Léon-Auguste-César Hodebert, et un pastel de Lucien Doucet (n°2837).